Monaco 2006, le mauvais tour de Schumacher

Publié le par Masta

Michael Schumacher s’est attiré autant de louanges que de reproches durant sa carrière. Les uns saluaient son investissement ou ses performances sur piste humide, les autres regrettaient sa fâcheuse tendance à dépasser la ligne jaune en matière de sportivité. Une tendance tristement exposée lors des qualifications du Grand Prix de Monaco 2006…

Monaco 2006, le mauvais tour de Schumacher

Aucun pilote ne fait l’unanimité, pas même les plus appréciables comme Daniel Ricciardo. Aujourd’hui, c’est Lewis Hamilton qui subit le plus de critiques, bien que celles-ci se concentrent davantage sur sa personnalité que sur son comportement en piste. Ces critiques sont aussi liées à un certain agacement de voir le même pilote gagner trop souvent, l’Anglais ayant lutté pour le titre trois années de suite. Sébastian Vettel a connu le même retour de bâton durant sa période de domination. Mais ce ras-le-bol fut surtout criant avec Michael Schumacher.

Il est vrai qu’avec cinq titres d’affilés, il était facile d’éprouver une certaine lassitude. A plus forte raison sans opposition interne, Schumacher jouissant d’une position de N°1 incontestée dans son équipe. De plus, certains soulignaient une certaine magnanimité de l’autorité sportive envers Ferrari, aggravant donc le fossé entre le public et le champion allemand. Enfin, à l’image d’Ayrton Senna, Schumacher n’hésitait pas à repousser les limites quitte à les franchir probablement trop souvent. Ainsi, qu’importe si Schumacher battait tous les records et imposait un certain respect par son implication exemplaire, sa condition physique parfaite et son talent certain sur piste humide, un certain désamour restait de mise. Tribunes allemandes remplies ou non.

Les reproches se firent plus discrets une fois sa période de domination achevée. Schumacher fit son maximum en 2005 mais il ne remporta aucune vraie victoire cette année-là. Indianapolis ne pouvait décemment pas satisfaire qui que ce soit. Heureusement Ferrari retrouva une meilleure dynamique en 2006 et la Scuderia devint le rival N°1 de Renault, Schumacher étant opposé à Fernando Alonso. Les deux se rendirent coup pour coup, l’Allemand renvoyant d’ailleurs l’ascenseur à l’Espagnol au cours du Grand Prix de Saint-Marin, un an après que le cadet ait tenu son aîné en respect durant la dizaine de tours restant.

@ Ferrari

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Game of thrones

Une fois arrivés à Monaco, c’était cela dit Alonso qui menait le bal avec 54 points contre 39. L’un enchaînait les podiums sans discontinuer là où Schumacher avait perdu des points sur sortie à Melbourne. Or à Monaco, partir en pôle était encore plus important au vu de la configuration du tracé. Ayant remporté cinq fois la timbale en ces lieux, « Schumi » ne l’ignorait pas. Il lui fallait donc réaliser un tour idéal et surtout, un tour plus rapide que celui d’Alonso. Sauf que Schumacher perdit du temps dans son dernier tour, contrairement à son rival. Arrivé à la Rascasse, il bloqua les roues, donna quelques étranges coups de volant, et stoppa sa voiture face au rail. Drapeau jaune, Alonso ne pouvait plus améliorer. Schumacher était alors en pole.

Le problème, c’est que cette erreur ne ressemblait à aucune autre dans ce virage. Considérant sa vitesse limitée, son angle de braquage et son positionnement global, Schumacher semblait en mesure de le négocier. Le voir braquer et contre-braquer de façon excessive n’était pas logique, surtout venant d’un pilote de sa trempe. Avec Alonso menaçant de lui chiper la pole, il était évident qu’il ne s’agissait pas d’une simple erreur. En vérité, convaincu qu’il allait perdre sa pole, Schumacher a décidé de se garer pour gêner les autres pilotes et garder son avantage !

@ Ferrari

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Descente en flammes

Bien entendu, si Ferrari défendit son protégé, les observateurs n’étaient pas dupes. Les journalistes ne se privèrent pas pour huer l’Allemand en salle de presse et ses collègues s’épanchèrent en remarques plus ou moins cyniques.  « Nous ne sommes pas dans Blanche Neige et les Sept Nains, donc son comportement est anti-sportif » dira Flavio Briatore. Jarno Trulli, pourtant pas le plus offensif derrière un micro, écrira plus tard dans Auto Hebdo « qu’à ce compte-là, j’engage quatre tueurs à gages et je fais dégager les pilotes qui me gênent ! ». Même Kimi Räikkönen se fendit d’un commentaire pince-sans-rire dont il a le secret. « Pour faire un truc comme ça, il aurait dû cacher sa caméra embarquée avec la main gauche ! ».

Les anciennes gloires, présentes en nombre en Principauté, ne furent pas moins virulentes. Tandis que Jackie Stewart disséqua avec perspicacité la manœuvre de l’Allemand, Keke Rosberg estima que c’en était trop. Pour lui, Schumacher « devrait rentrer chez lui et laisser ce sport aux gens honnêtes ». Non sans ajouter que si son fils Nico avait agi de la sorte, il l’aurait renvoyé à l’école à coups de pied dans le derrière ! Belle ironie quand on sait que le futur champion du Monde a attiré la suspicion pour une erreur analogue à Mirabeau en 2014 ! Même certains membres de Ferrari, anonymement bien sûr, manifestèrent leur dégoût face à cette stratégie.

@ Ferrari

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« Juste une dernière chose…»

Les commissaires sportifs ne pouvaient que se pencher sur ce cas. Comme si les images n’étaient pas assez claires, les témoignages des stewards et des commissaires de piste enfoncèrent le clou.

Outre le fait que Schumacher « a[it] freiné 50% plus fort dans ce tour que dans aucun de ses précédents », qu’il soit resté aussi longtemps immobilisé moteur tournant était tout sauf innocent. Il est interdit par le règlement d’évacuer une voiture au moteur allumé. Le chef de poste des commissaires de piste de la Rascasse fut même témoin de la scène suivante : Schumacher coupa son moteur pile au moment où Alonso entrait dans le secteur neutralisé et refusa de lâcher les freins, désobéissant ainsi aux ordre des commissaires ! Bien entendu, il laissa la pédale tranquille une fois Alonso disparu…

Pour couronner le tout, Schumacher aurait perdu le contrôle de sa monoplace à… 16 km/h. Pour reprendre les termes de Jacques Villeneuve, « si c’était vraiment une erreur, il faudrait lui retirer sa licence de pilote ». Au final, Schumacher finit par reconnaître son coup fourré devant les commissaires. Et seulement devant eux…

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Hurler avec les loups

En effet, Schumacher continua de prétendre le contraire devant tous les médias une fois la sanction tombée (annulation de tous ses temps de qualifications). Pire encore, Ferrari, par la voix de Jean Todt, se posa en victime d’une manigance politique ! « Quand quelqu’un a décidé que votre voiture est verte quand bien même elle est rouge, il n’y a rien à faire pour qu’il en démorde » dixit le porte parole Luca Colajanni. Ce qui rend ces déclarations encore plus ironiques, c’est que la sanction d’origine n’était pas la même. Au vu de la gravité de son geste, le champion allemand aurait dû être exclu du meeting complet si on se basait sur le règlement sportif. Sauf que Jean Todt parvint à réduire la peine. Qui tire les ficelles en coulisses déjà ?

Étrangement, ce scandale n’eut aucune incidence sur sa position au GPDA. Schumacher était pourtant le président de l’association des pilotes, les mêmes ayant vivement critiqué leur camarade ! Comme le signalait fort justement Pedro de la Rosa (3è pilote McLaren à ce moment), « comment le laisser parler de sécurité au nom des pilotes après ce qu’il vient de montrer en piste ? ». Lui et Jacques Villeneuve avaient ouvertement réclamé sa démission après Monaco. Sauf qu’au cours de la réunion se déroulant la semaine du Grand Prix de Grande-Bretagne, Schumacher ne se remit aucunement en question et la majorité des pilotes restèrent silencieux. Alonso et Räikkönen quittèrent même les lieux avant la fin ! Michael resta ainsi en place, tandis que Villeneuve et De la Rosa démissionnèrent de leur poste, écœurés par cette inaction.

@ Ferrari

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Je ne regrette rien ?

Bernie Ecclestone estima quant à lui que le plus important et intéressant dans l’histoire était la suite, à savoir comment Schumacher allait réagir après coup. Selon lui, il allait « réagir positivement et montrer sa vraie personnalité ». Sauf qu’en dépit de son aveu en privé face aux commissaires, Schumacher n’officialisa jamais son erreur volontaire. Lors de son retour sur les lieux du crime en 2010, les journalistes le questionnèrent évidemment sur sa manœuvre. Le septuple champion préféra les envoya balader. Il considéra qu’il n’était plus nécessaire d’en parler et que ce sont les journalistes qui en ont fait une tâche sur sa carrière.

Après sa rétrogradation en fond de grille, Schumacher avait même déclaré que « je pense pouvoir dire que je n’ai pas beaucoup de tâches noires sur ma conscience ». Comment un si grand champion pouvait autant s’enfoncer dans le déni ? Voilà tout le paradoxe de sa carrière…

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