F1 contre Indy : l'affrontement impossible

Publié le par Masta

Au cours de l'histoire, certains pilotes sont arrivés en F1 après une carrière américaine couronnée de succès. Tout comme quelques uns ont connu une seconde jeunesse aux Etats-Unis après la Formule 1. Reste qu'il est difficile de déterminer quelle discipline prend le pas sur l'autre, à moins de les opposer directement. Et encore...

Image :  Primotipo

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Pour justifier son statut de championnat du monde, la FIA avait intégré les 500 Miles d'Indianapolis à son calendrier. Sauf qu'en dehors d'Alberto Ascari en 1952, aucun pilote de F1 n'osa s'aventurer sur l'ovale d'Indiana. De même, les participants des 500 Miles ne daignèrent pas tenter l'expérience européenne. Il est vrai que ceux-ci s'étaient déjà habitués aux ovales aux Etats-Unis et risquaient donc de se casser les dents sur les circuits sinueux

Cette division entre circuits routiers et ovales part en vérité d'un problème logistique. Au début du siècle, le réseau routier européen servait de base aux premiers circuits. Sauf qu'aux Etats-Unis, le territoire était trop vaste, si bien qu'on ne prit pas la peine de construire un grand nombre de routes. On choisit plutôt de reconvertir les hippodromes pour organiser les courses et ainsi commença une tradition encore d'actualité. L'Europe en prit bonne note et en 1922, Monza inaugura son tracé composé d'un circuit traditionnel et d'un anneau de vitesse. Un grand nombre d'accidents mortels poussa cela dit les organisateurs à se concentrer sur la partie routière du tracé.

Mais en 1955, l'Automobile Club de Milan avait rénové son anneau et comptait bien le rentabiliser. Et les Grands Prix de 1955 et 1956 n'allaient pas suffire...

Image : Youtube

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Faux départ !

Ainsi, l'ACM fit les choses en grand pour 1957 et organisa le Trophée des deux Mondes. Il s'agissait d'opposer dix pilotes européens à dix pilotes américains. Avec l'anneau de Monza emprunté dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, il y avait moyen d'équilibrer les échanges...à condition de disposer des mêmes véhicules. A cette époque, la Formule 1 comptait sur une cylindrée de 2,5 litres et l'IndyCar montait à 2,8 litres. Impossible donc d'obtenir une confrontation équitable, sans parler d'une plus grande légèreté du côté F1 en comparaison des "roadsters" américains. Ce déséquilibre aurait pu mal tourner sur l'ovale milanais, si bien que les pilotes de F1 décidèrent de boycotter l'épreuve.

Résultat, les dix pilotes américains présents ce jour là se confrontèrent à trois Jaguar D d'Endurance. Des Jaguar qui, pour des raisons d'équité, ne pouvaient couvrir le tracé en moins de 63 secondes. Résultat Jimmy Bryan, futur vainqueur de l'Indy 500 (1958), s'imposa devant deux anciens lauréats, à savoir Troy Ruttman (1952) et Johnny Parsons (1950), avec un meilleur tour de 54,1 secondes ! Sans surprise, la première Jaguar D finit à douze tours...

Image : DR

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La guerre des mondes

En 1958 - le 29 juin pour être exact - on eut cette fois droit à une vraie course. Les pilotes étaient alors moins soudés (leur association était tombée en désuétude) et surtout, de fortes sommes d'argent étaient promises en cas de victoire. La Formule 1 n'offrant pas un salaire conséquent à l'époque, il fallait bien arrondir ses fins de mois. Les constructeurs répondirent aussi présents, bien que Gérard Crombac émit l'hypothèse selon quoi l'ACM avait payé Ferrari et Maserati afin qu'ils adaptent leurs monoplaces en conséquence !

Dans le rang italien, on pouvait donc retrouver Luigi Musso et les futurs champions du Monde Mike Hawthorn et Phil Hill pour Ferrari, tandis que Maserati alignait Stirling Moss. Mieux encore, Maurice Trintignant s'était engagé avec une voiture américaine, de même que... Juan-Manuel Fangio ! Le futur retraité reprit pour l'occasion la voiture qu'il avait essayée à Indianapolis lors de sa qualification avortée pour les 500 Miles. A noter enfin que Trintignant avait pour équipier la futur légende AJ Foyt.

La course se découpa en trois manches de 63 tours. Musso signa la pole mais dut s'immobiliser après une vingtaine de tours pour une raison fort singulière : l'Italien était dans les vapes à cause des émanations de méthanol ! Les trois pilotes Ferrari se relayèrent mutuellement mais au classement cumulé, ils finirent sur la plus petite marche du podium à... neuf tours du vainqueur. Fangio avait lui renoncé avant même le départ à cause d'un piston fêlé.Pour changer, c'est un autre (futur) lauréat des 500 Miles qui remporta les trois manches et le Trophée des deux Mondes, en la personne de Jim Rathmann, vainqueur en 1960. Jimmy Bryan s'intercala entre lui et la Ferrari. La moyenne générale était de 268,311 km/h, la plus haute jamais enregistrée à cet instant pour une course automobile.

L'expérience ne fut pas reconduite car en 1959, le premier vrai Grand Prix des Etats-Unis eut lieu à Sebring. De toute manière, les pilotes de F1 y participèrent à contre-cœur. Mike Hawthorn qualifiera sa Ferrari de "chose la plus atroce que j'aie conduite" et ne cacha pas son manque de motivation, voire même sa peur. Ironie du sort, ce sont ses équipiers qui allaient périr en piste cette année, entre Luigi Musso une semaine plus tard en France et son meilleur ami Peter Collins en Allemagne.

Au moins, l'expérience aura inspiré Jean Graton qui en fit le sujet de son premier Michel Vaillant. Le Grand Défi opposait justement européens et américains, avec Michel Vaillant et Steve Warson...

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Folie des grandeurs

L'autre match entre les deux côtés de l'Atlantique prit une autre tournure en 1971. A la fin des années 60 naquit la Formule 5000 ou Formule A, selon de quel côté on se situe. Cette formule un peu bâtarde piochait à la fois dans la Formule 1 et l'IndyCar pour un résultat inégal. La série ne dura que quelques saisons avant que les châssis utilisés ne soient recyclés pour la série CanAm, cette compétition opposant des hybridations entre monoplaces et prototypes. Des modèles surpuissants qui surent attirer de nombreux pilotes de F1 tels qu'Alan Jones, Keke Rosberg, Patrick Tambay ou encore Jacky Ickx.

Néanmoins la Formule A eut le temps d'attirer l'attention durant sa courte existence car elle offrait une nouvelle opportunité d'affrontement entre Formule 1 et compétition américaine. Cela tombait bien, un autodrome flambant neuf a été inauguré en août 1970 près d'Ontrario en Californie pour accueillir aussi bien la Formule 1 que l'IndyCar. On y trouvait pour l'occasion un ovale et une piste intérieur. Comme quoi, Indianapolis n'a rien inventé 30 ans plus tard. Histoire de faire bonne figure, Paul Newman et Kirk Douglas faisaient partie du conseil d'administration du circuit ! Après avoir accueilli avec succès l'IndyCar (USAC à l'époque), puis la NASCAR, la piste était prête pour l'étape suivante.

Une course hors-championnat de F1 fut programmée le 28 mars 1971, en prévision d'une éventuelle intégration l'année suivante. A l'époque, il est commun d'organiser une course hors-championnat pour prouver le sérieux de l'entreprise et obtenir sa place au calendrier douze mois plus tard. Interlagos eut droit à ce traitement peu de temps après, de même qu'Imola par la suite.

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5000 lieues sous les mers...

L'Ontario Motor Speedway fut donc le théâtre du Questor Grand Prix, nommé ainsi eu égard au sponsor titre, comme il était de coutume pour les courses de Formule A (« Rothmans 5000 »). La date du 28 mars semblait idéale : l'ouverture de la saison 1971 s'était déroulée trois semaines plus tôt à Kyalami et l'épreuve de Montjuich se situait trois semaines après. Après, certains pilotes de F1 assumaient quelques engagements en Endurance en parallèle, sans compter d'autres courses hors-championnat. Il était donc plus compliqué de trouver un bon créneau ! Reste la prime de 40 000 dollars adressée au vainqueur pour convaincre.

Néanmoins, toutes les têtes d'affiche du plateau firent le déplacement en Californie avec leurs équipes. On peut citer Jacky Ickx, Jackie Stewart, Mario Andretti, Denny Hulme, Pedro Rodriguez ou encore Graham Hill. Une liste non exhaustive car 17 pilotes de F1 furent présents en tout. Du côté de la Formule A, on retrouvait quelques pilotes américains comme Peter Revson, Mark Donohue et George Follmer, qui allaient s'aventurer en F1 après coup. De quoi mettre l'eau à la bouche.

Sauf que la course ne fit que mettre en lumière l'inefficacité des Formule 5000. Outre le fait que leurs petits réservoirs aboutirent à deux manches de 32 tours, les six premières places furent occupées par les Formule 1 ! Sans grande surprise, Mario Andretti s'imposa, l'Américain ayant déjà fait le lien entre les deux continents à de nombreuses reprises. La preuve : il manqua la séance d'essais du samedi pour disputer une épreuve d'USAC en Arizona ! Cela aboutit à une douzième place sur la grille qu'il rattrapa avec brio. Pour mémoire, si Mark Donohue lutta un temps pour le podium, la première Formule A à l'arrivée (celle de Ron Grable) finit derrière une Ferrari, une Tyrrell, une McLaren, une Matra, une Brabham et une BRM ! Victoire nette et sans bavure de la Formule 1.

Si l'événement fut un succès populaire avec 65 000 spectateurs, il n'attira pas autant les foules qu'escompté. Cela combiné au résultat décevant de la course tua dans l’œuf toute chance de voir l'Ontario Motor Speedway au calendrier F1. Long Beach fit son chemin à partir de 1976 tandis que l'OMS peina à attirer le public, ne faisant qu'aggraver sa dette. Après tout, le circuit a nécessité un investissement de 25 millions de dollars... En 1981, il fut démonté et nulle trace du tracé ne subsiste aujourd'hui, si ce n'est la présence de « Porsche way » ou de « Ferrari lane ».

D'autres confrontations F1-F5000 eurent lieu hors-championnat mais dans la plus grande discrétion en comparaison du Questor Grand Prix...

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