1993 : la dernière leçon du Professeur

Publié le par Masta

1993 : la dernière leçon du Professeur

Alain Prost est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands pilotes de F1 de l’Histoire et, avec Sebastien Loeb, le plus grand pilote du sport automobile français. Pourtant, sa renommée et son palmarès n’ont jamais été proportionnels à l’attachement d’une part du public, et plus encore de la presse. Or, lors de son retour à la compétition en 1993 après une année sabbatique rétribuée par Ferrari suite à son renvoi anticipé fin 1991, Prost fut la cible des mêmes critiques qui pleuvaient sur Sebastian Vettel il y a peu : avoir gagné trop facilement.

En effet, Prost bénéficia de la meilleure monoplace du plateau cette année-là : la Williams FW15C. A ce moment, l’électronique était omniprésente en Formule 1, et le modèle précédent, la FW14B, avait écrasé la saison 1992 grâce à cela. Celui qui lui succéda disposait d’à peu près tout ce qui pouvait l’aider à aller plus vite : anti-patinage, boîte semi-automatique, suspension active, et tutti quanti. Prost trouvera d’ailleurs la meilleure image pour qualifier sa nouvelle monture : "un vrai petit Airbus".

Face à lui, la concurrence était défavorisée : son équipier Damon Hill n’avait que deux Grands Prix sur une Brabham agonisante à son actif, tandis que les Mclaren et Benetton devaient se contenter d’un moteur Ford V8 qui ne valait pas le Renault V10, rapidement devenu l’arme absolue. Au grand dam de Ayrton Senna qui ne signa avec Mclaren que peu de temps avant le premier Grand Prix, après avoir essayé en vain de se faire recruter par Williams ! Or Prost avait posé une seule condition lors de son engagement : ne pas avoir le Brésilien comme équipier. Ce dernier devait donc ronger son frein sur une Mclaren certes très performante en soi, mais sous-motorisée...

Dans ces conditions, on pouvait penser que Prost aurait la partie facile. Or il subit des pressions avant même son retour puisqu’il eut le "tort" de se laisser aller à des commentaires acerbes sur la gestion de la Formule 1 par la FIA et Bernie Ecclestone. En réaction, Max Mosley menaça carrément de ne pas accorder la super-licence au triple Champion du Monde ! Les tensions se sont calmées par la suite, mais d’entrée le Français subissait à nouveau les côtés négatifs de son métier. Cette menace illustrait aussi la crainte des autorités de voir un nouveau championnat sans suspens, car suspendre Prost pour quelques courses l’aurait nourri....

Son succès d’entrée en Afrique du Sud après une superbe lutte face à son éternel rival ne calma pas la fronde de ses détracteurs. Au Brésil au moment où une averse tropicale inonda le circuit, une liaison radio exécrable lui fit comprendre qu’il devait rester en piste. Mauvaise idée puisqu’il partit en travers au premier virage pour échouer sur la Minardi de Christian Fittipaldi. Pendant ce temps, Senna fit le bonheur des siens en triomphant une dernière fois à domicile. Puis vint Donington, pour ce qui reste l’un des triomphes les plus célèbres de Magic... et l’un des échecs les plus cuisants de Prost, comme lui-même l’a raconté en 2004 dans un documentaire consacré à Senna, dix ans après sa disparition.

"Nous avions embauché quelqu’un pour la météo. Il était situé à l’aéroport, près du circuit de Donington, nous étions en contact permanent avec lui. A un moment il nous a annoncé - à moi et aux ingénieurs - qu’une averse allait arriver, une grande averse ! Or il tombait quelques gouttes. Je me suis alors arrêté aux stands et peu après, il ne pleuvait plus. Et à chaque fois qu’il nous a annoncé une prévision, le contraire se passait ! Ainsi je détiens le triste record de changements de pneus : sept, dont six avec le mauvais choix !"

Les conditions très changeantes ce jour-là n’ont pas touché que Prost, puisque Senna lui-même changea cinq fois de pneumatiques. Reste que ce dernier remporta la course avec une minute d’avance sur Hill, et un tour sur Prost. Le comble fut atteint durant la conférence de presse où lorsque Prost justifia sa contre-performance par divers soucis techniques, Senna lui répliqua "Tu devrais échanger ta voiture avec moi !". Le Brésilien avait encore impressionné son monde sous l’averse et sur une monoplace qui ne valait pas la Williams, là où Prost, connu pour être prudent sur piste humide, aggrava son cas auprès des observateurs malgré des circonstances atténuantes...

Après cette douche froide Prost reprit vite le contrôle du championnat en remportant six des sept courses suivantes : Imola, Barcelone, Montréal, Magny-Cours, Silverstone et Hockenheim. Mais les polémiques continuèrent, d’autant que les autorités y mirent également leur grain de sel. Ainsi à Monaco, l’embrayage capricieux de Prost le fit avancer d’un poil avant le départ. Avant que les départs anticipés soient reconnus par l’électronique à partir de 1995, ceux-ci étaient plus ou moins décidés à la tête du client par le directeur de course, selon s’ils se voyaient suffisamment ou non. Or bien qu’il n’était clairement pas le seul à ne pas avoir été complètement immobile, Prost fut le seul pénalisé. Son embrayage en remit une couche en le faisant caler... deux fois ! Le Professeur aura beau remonter superbement de la vingt-deuxième à la quatrième place, il pouvait se sentir floué...

Même sentiment d’injustice en Allemagne : Martin Brundle partit en travers devant lui à la seconde chicane et Prost choisit de couper celle-ci pour éviter un accrochage. Réflexe logique mais sanctionné là encore d’une pénalité de dix secondes ! Le Français finit par remporter la course - aidé en partie par la crevaison de Hill à deux tours du but – mais le sentiment général était qu’on essayait de relancer artificiellement le championnat vu la domination de Prost. Pourtant, on ne le savait pas encore à cet instant, mais la cinquante-et-unième victoire du Français allait rester sa dernière...

A côté, bien que la Williams était supérieure, Ayrton Senna ne désarmait pas, et sautait sur la moindre occasion pour lutter avec son vieux rival. Le plus bel exemple restera celui de Silverstone où après un départ manqué, Senna fit preuve d’un acharnement incroyable pour garder Prost derrière lui, avant de devoir lâcher prise. Une agressivité qui ne sera pas du goût de Prost, qui lâcha en privé à quelques amis qui s’étaient étonné de son silence devant la presse à ce sujet "Je serais encore passé pour une pleureuse. Aux yeux du public, Senna a toujours raison". Ce fut cependant le seul moment en dehors de la conférence de Donington où les deux champions auront eu un commentaire acerbe ou ironique envers l’autre, là où ils étaient plus fréquents de 1989 à 1991.

La seconde moitié de saison fut plus difficile pour Prost, ce qui laissa une autre occasion aux observateurs de l’attaquer. Cependant il aurait pu ajouter deux autres victoires en Hongrie sans un souci d’aileron arrière -- et un nouveau calage au départ – et un moteur cassé en vue du but en Italie. Entre temps il accumula les poles alors qu’il n’a jamais été un spécialiste du tour chrono : treize en seize courses ! Le reste du temps, Prost collectionna les places d’honneur : troisième en Belgique, et deuxième lors des trois dernières courses.

C’est lors de la première d’entre elles, au Portugal que Prost s’assura de son quatrième titre mondial. Or, le vendredi du Grand Prix, Prost annonça à la surprise générale sa retraite à la fin de la saison :

"Je ne voulais pas faire l’année de trop. Il fallait savoir s’arrêter au bon moment et pour moi, ce moment est arrivé. Partir au sommet est une bonne chose. Je suis en Formule 1 depuis plus de treize ans, je n’ai jamais perdu la motivation même si je n’ai pas toujours été ménagé. Je viens de vivre une saison formidable avec mon équipe. Sur le plan technique, ce fut également passionnant. Mais aujourd’hui, je dois reconnaître que ce sont plutôt des événements extérieurs qui m’ont convaincu de prendre cette décision, et je suis heureux de l’avoir prise. Le jeu n’en valait plus la chandelle"

Prost faisait ici allusion à plusieurs facteurs. Outre ses démêlés avec les autorités, il est notamment question du comportement distant de Williams à son égard. En effet le Français avait pris l’habitude de l’environnement plus accueillant de Mclaren où tout est mis en œuvre pour mettre le pilote en confiance. Chez Williams, le pilote est plutôt traité comme un employé parmi les autres, et si techniquement avec Patrick Head, le courant passait très bien, ce n’était pas aussi vrai avec Frank Williams. Ce qui n’empêcha pas l’équipe de faire preuve d’un bel humour anglais : en fin d’année, l’équipe offrit à son ex pilote... un embrayage ! Le Français connut en effet régulièrement des soucis avec cette pièce lors des départs...

Le second facteur auquel Prost faisait référence était évidemment l’arrivée de Senna dans l’équipe britannique pour 1994. Ne souhaitant pas une nouvelle cohabitation houleuse et usé par l’atmosphère de plus en plus étouffante de la F1, Prost choisit donc de partir. Au grand désespoir de Senna d’ailleurs, qui durant le week-end étonnera ses proches en leur posant le plus de questions possibles sur le Français, sur son avenir, sur la réaction du public et de la presse tricolore...

Prost finit deuxième de la course derrière Schumacher, qui faisait alors office de successeur désigné aux deux légendes qu’étaient devenus Senna et Prost. Les deux franchirent l’arrivée dans cet ordre lors des deux dernières courses au Japon et en Australie. A ce moment, il n’était plus question de commentaires déplacés, que ce soit du côté de la presse, des fans ou des pilotes eux-mêmes. Senna aura cet aveu envers un ami qui résume parfaitement la situation : "Tu comprends, avec Alain nous avions vraiment une confrontation qui dépassait tout le reste. Nous étions au-dessus du lot". Le Brésilien était inquiet à l’idée de perdre son principal repère en Formule 1, et cela ne datait pas de leur collaboration en 1988 mais de ses débuts en 1984, à l’époque où Prost se plaçait comme le meilleur pilote du moment.

Après la course, les deux furent interrogés en conférence de presse. Lorsqu’on demanda à Senna ce que Ron Dennis lui avait dit en privé, le Brésilien répondit, hilare : "Ce n’est jamais trop tard pour changer d’avis !". Prost embraya à son tour : "C’est amusant, il m’a dit exactement la même chose !". La bonne humeur et la nostalgie était de mise. Le podium, où Prost tendit la main à Senna qui l’invita sur la plus haute marche avec lui était la conclusion parfaite et rêvée par tous les observateurs qui savaient qu’avec la retraite de Prost, une page de la Formule 1 allait se tourner. Malgré toute l’histoire entre ces deux grands pilotes, malgré leurs différences et différents, à l’image de Niki Lauda et James Hunt, il y avait au final un profond respect mutuel qui éclata à la face de tous une fois la pression retombée.

 Pour tout cela aussi, merci Alain Prost.

Pour tout cela aussi, merci Alain Prost.

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