Les années de trop : Jody Scheckter, 1980

Publié le par Masta

Les années de trop : Jody Scheckter, 1980

Parmi les pilotes n'ayant remporté qu'un titre mondial, on compte trois catégories : ceux qui en méritaient plus, ceux qui l'ont remporté presque par accident mais sans avoir démérité durant leur carrière, et ceux qui l'ont mérité pour l'année en cours mais dont le niveau général par rapport aux grands noms est plus discutable. Jody Scheckter est de ceux-là.

Il faut cela dit rendre les mérites qui lui sont dus : le Sud-Africain ne manquait pas de talent, loin de là. Il taquina sans problème les leaders durant ses premières courses sur une troisième McLaren et luta pour le titre mondial dès sa première saison complète avec Tyrrell. Son agressivité fut hélas mal canalisée entre accrochages évitables et sorties malencontreuses. C'est à lui que nous devons l'un des plus grands carambolages de la Formule 1 puisqu'il élimina huit voitures à lui tout seul à SIlverstone en 1973. Néanmoins, comme Ricardo Patrese et Romain Grosjean après lui, il apprit de ses erreurs et devint un pilote solide, fiable et intelligent. Il reste le seul pilote à avoir imposé la mythique Tyrrell P34 à six roues et inscrivit le nom de Wolf dans l'Histoire puisqu'il remporta la première course de l'équipe en 1977 !

Cette maturité acquise au fil des ans lui rendit un fier service en 1979, au moment de rejoindre Ferrari. Premièrement, sa monoplace n'était pas la plus performante du lot, ou ne l'a que trop rarement été : les Ligier JS11 puis les Williams FW07 ont imposé leur loi au peloton. Là où leur V8 Ford leur permettait d'exploiter idéalement l'effet de sol imaginé par Lotus, le V12 Ferrari "boxer" (à plat) empêchait Mauro Forgheri de construire une vraie "wing car". Il parvint à un compromis avec la 312T4 au look souvent décrié, mais apprécié par son pilote N°1.

Deuxièmement, il allait faire face à un autre agité du volant mais qui, lui, n'avait aucune intention de se modérer : Gilles Villeneuve. On le sait, le Canadien était aussi flamboyant et spectaculaire qu'il était imprudent et manquait de discernement, ce qui lui a probablement coûté un titre mondial. Lucide, Scheckter savait qu'il aurait tout à gagner en misant sur la régularité et en forçant Gilles à tirer sur la mécanique. C'est exactement ce qu'il s'est passé : Scheckter marqua douze fois en quinze épreuves contre huit pour son équipier et ami. Comme les Ligier perdirent de leur superbe en cours de saison et que les Williams ne trouvèrent la formule magique que tardivement, Ferrari signa le doublé avec le titre de Scheckter dès Monza devant son équipier. L'un promit à l'autre de lui renvoyer l'ascendeur en 1980, en réponse à la loyauté exemplaire de Gilles envers les consignes de son équipe.

Il est cependant écrit que cette loyauté et cette sagesse ne seront jamais récompensées ainsi, tout comme l'ont appris Stirling Moss, François Cevert, Ronnie Peterson et David Coulthard. Au moins, Villeneuve ne baissa jamais les bras et profita du moteur turbo en 1981 pour écrire d'autres pages de sa légende. Scheckter, lui, avait déjà mis les voiles aux États-Unis pour se construire une nouvelle vie. En effet, en 1980, Ferrari fit l'erreur de ne proposer qu'une évolution de son modèle précédent, là où Williams, Lotus et Brabham continuèrent de progresser à pas de géant. D'un autre côté, il était déjà prévu de passer au turbo dès la saison suivante, il y a donc fort à parier que la Scuderia ait choisi de sacrifier cette année-ci.

Ce choix résulta en l'une des pires saisons de l'histoire de l'équipe et probablement au plus gros gadin d'un Champion du Monde sortant. Là où Damon Hill en 1997 eut Budapest pour se consoler, il n'est pas sûr que les deux seuls points de Long Beach (et encore, après une hécatombe) aient suffi à satisfaire Scheckter. Qu'il annonça sa retraite à mi-saison ne surprit personne, ce même à 30 ans : il était évident qu'il n'était plus aussi motivé. Comme toujours, quand l'âge n'a pas encore fait son travail, c'est l'envie qui joue son rôle dans la chute d'un pilote car le talent lui, ne fuit pas. Scheckter eut surtout le malheur de finir sa carrière avec une Ferrari inefficace au possible, face à un équipier qui se donnait à 100% pour tout et qui, déjà de son vivant, suscitait l'admiration pour cela. Le comble fut atteint avec une non-qualification à Montréal...

L'Ourson (surnom dû à son caractère identique à Denny Hulme, surnommé "l'Ours") resta parmi les siens en présidant l'association des pilotes (le fameux GPDA) mais en ces temps marqués par de gros conflits entre constructeurs et fédération, Jody se sentit de trop. Il choisit de se reconvertir en fondant une entreprise de simulateur de tirs aux États-Unis puis, après avoir aidé son fils Tomas à faire carrière (il manqua le train de la F1 pour avoir été surpris avec une prostituée...), il s'investit dans l'élevage bio en Angleterre, avec grand succès, faisant totalement oublier son passé. Il rapporta au cours d'une interview pour le Guardian qu'une femme qu'il n'avait jamais rencontré lui avait envoyé une lettre disant "Je me dois de m'excuser auprès de vous. J'ai dit beaucoup de choses horrible sur votre compte pendant que vous étiez pilote mais maintenant, vous faites partie de la communauté bio, vous ne pouvez qu'être quelqu'un de bien" !

S'il n'a jamais été le meilleur pilote de son époque, Jody Scheckter aura au moins réussi à connaître plusieurs vies après sa carrière de pilote. Une chance qui n'a pas été donnée à tous les champions du Monde, loin de là.

Avant Scheckter, Jim Clark et Chris Amon furent également fermiers, l'un avant sa carrière de pilote, l'autre après

Avant Scheckter, Jim Clark et Chris Amon furent également fermiers, l'un avant sa carrière de pilote, l'autre après

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