De collaboration à cohabitation : Villeneuve et Pironi

Publié le par Masta

De collaboration à cohabitation : Villeneuve et Pironi

Beaucoup de journalistes se font les choux gras de la rivalité opposant Lewis Hamilton et Nico Rosberg, non sans raisons : les deux pilotes se connaissent depuis leurs débuts en karting et s'entendaient comme larrons en foire. Lorsque l'Allemand décrocha son premier podium à Melbourne en 2008, Hamilton fêta l'événement autant que lui. Or, une fois le titre mondial en jeu à voiture égale, la relation ne pouvait que se dégrader, le désir de vaincre étant toujours le plus fort chez un pilote. Les exemples ne manquent pas mais rien de comparable avec celle opposant Didier Pironi et Gilles Villeneuve en 1982...

De son vivant, le Canadien était déjà un pilote à part. Outre son pilotage caractéristique lui attirant autant de louanges que de reproches, le père de Jacques était d'une droiture exemplaire, presque d'un autre temps déjà, ne le rendant que plus populaire encore. A côté, Didier Pironi n'était pas du même métal. Plus discret, plus méthodique mais ô combien déterminé et extrêmement talentueux. Comme Patrick Depailler avant lui, il fit au moins jeu égal avec Jacques Laffite en 1980, alors que le futur commentateur était pourtant l'enfant chéri de Ligier. Ferrari en prit bonne note et l'aligna aux côtés d'un autre privilégié francophone pour 1981.

Hélas pour lui, le moteur turbo était aussi puissant que brutal et le châssis n'était absolument pas conçu pour le dompter... à moins de s'appeler Gilles Villeneuve. Qui d'autre aurait pu l'emporter à Monaco, pourtant peu favorable aux turbos, et à Jarama en contrôlant un peloton de quatre autres monoplaces dans la même seconde ? La légende du N°27 s'écrivait ici, au détriment d'un Pironi relégué au second plan et dont l'esprit analytique l'empêchait de tirer le meilleur parti du monstre rouge qui lui était confié. Heureusement pour lui, son équipier s'attacha rapidement à lui, comme il l'avait fait avec Jody Scheckter par le passé. Les deux multiplièrent les jeux de vitesse sur les autoroutes au grand dam de leur équipe... Ce soutien rafraîchissant fut bien utile au moment d'aborder une saison 1982 cruciale. En recrutant Harvey Postlethwaite, brillant concepteur des belles Hesketh et Wolf entre autres, Ferrari disposait enfin d'une monoplace homogène qui allait mettre fin aux numéros d’équilibristes de ses cavaliers.

Cependant, en arrivant à Imola, la Scuderia courrait toujours après son premier succès. La fiabilité n'était toujours pas optimale, Villeneuve ne contenait toujours pas son allant et l'équipe prenait volontiers des libertés avec le règlement par pure provocation envers les équipes anglaises qui roulaient sciemment sous le poids. Nelson Piquet et Keke Rosberg furent disqualifiés au Brésil pour cette raison. En réaction, la majorité des "garagistes" boycottèrent le Grand Prix de Saint-Marin, choix non innocent puisqu'il s'agissait du terrain de jeu de Ferrari... Manque de chance, contrairement aux Grands Prix d'Espagne 1980 et d'Afrique du Sud 1981 boudés par les "légalistes" (les constructeurs et leurs alliés) et considérés hors-championnat, cette course compta pour le classement final et fut suivie par les télévisions ! Si Bernie Ecclestone avait besoin d'une nouvelle preuve quant à la nécessité de faire bloc...

C'était donc l'occasion rêvée pour Ferrari de se refaire une santé. Après une lutte acharnée contre les Renault, celles-ci finirent par renoncer, laissant la voie libre aux deux amis, qui continuaient à se tirer dans les pattes en tête. Craignant un accrochage et/ou une nouvelle casse mécanique, l'équipe leur afficha un panneau "Slow", leur intimant donc de baisser la cadence pour assurer ce doublé. Coutumier de ce genre d'ordre, lui qui baissa souvent pavillon derrière Scheckter en 1979, Villeneuve s'exécuta, estimant que Ferrari gelait les positions. Pironi l'interpréta autrement : ralentir ne signifiait pas nécessairement ne plus se battre pour la victoire, pensait-il... Les deux s'échangèrent donc à nouveau les positions, afin d'assurer le spectacle devant les tifosi. Du moins, du point de vue de Villeneuve. Lorsque Pironi le déborda au prix d'une manœuvre hardie au dernier tour pour l'emporter, l'univers du Québécois s'effondra. Il se sentait trahi et n'adressa plus le moindre mot à son ancien ami.

Pire encore, si l'ingénieur Mauro Forghieri donna raison à Villeneuve, Enzo Ferrari arbitra à peine cette discorde, tandis que le directeur sportif Marco Piccinini prit la défense de Pironi, arguant que ce panneau "Slow" n'était pas destiné à le priver de la victoire. Joann Villeneuve n'était pas aussi surprise que son mari. Méfiante depuis le début, elle avait remarqué que lors du mariage de Didier, peu avant Imola, son témoin de mariage était justement Piccinini. Un mariage où Villeneuve n'était même pas invité... De plus, l'appétit politique du Français était connu de tous après qu'il ait mené la fronde des pilotes lors de la grève de Kyalami, un goût que n'a jamais partagé Villeneuve. Après une saison 1981 ayant tourné à son désavantage, avait-il joué de son influence afin d'affaiblir Gilles psychologiquement et de le battre sur la piste ? Nul ne le sut vraiment mais le mal était fait. Villeneuve se répandit en paroles assassines : "Il ne l'emportera pas au paradis ! C'est la guerre, la guerre totale !". Humainement aussi, il n'y avait pas de juste milieu pour lui.

Son accident de Zolder en fut la triste démonstration. S'il était à la base le résultat d'une incompréhension entre Jochen Mass et Villeneuve quant à la bonne trajectoire à adopter, c'était aussi la conséquence de cette trahison : le pilote cherchait à tout prix à battre Pironi en qualifications, ce alors qu'il devait rentrer aux stands à ce moment... Un des nombreux drames de cette saison maudite, que Pironi aurait très bien pu remporter. La Ferrari se fiabilisait enfin, il faisait parler sa régularité à la perfection et menait le championnat après ces événements. Pourtant, humainement parlant, le Français était détruit, lui qui jusque là, absorbait tout comme une éponge. Ses proches comprirent qu'il se reprochait la perte de son ancien ami et son mariage n'y résista d'ailleurs pas. Comme la F1 est parfois cruelle, il fut également aux premières loges d'un autre accident mortel, celui de Riccardo Paletti, après que son Osella se soit empalée sur sa Ferrari, qui avait calé. Le tout au Canada, sur le circuit qui portait maintenant le nom de Gilles Villeneuve...

Le tout culmina à Hockenheim lorsque Pironi décolla sur la Renault d'Alain Prost sous une averse diluvienne... en essais libres. Personne ne comprit pourquoi il avait pris de tels risques, lui qui les calculait davantage que Villeneuve. Malgré de nombreuses opérations qui sauvèrent ses jambes (on faillit l'amputer sur place) et quelques tests sans lendemain, ce crash marqua la fin de sa carrière en F1. Cinq ans plus tard, il quitta à son tour le monde des vivants lorsque son bateau de off-shore se retourna face à une vague dévastatrice. Là aussi, il aurait été logique de lever le pied. Il ne l'a pas fait...

Cette relation destructrice connut une épitaphe émouvante : la dernière compagne de Pironi accoucha quelques mois plus tard de jumeaux. Leurs prénoms ? Didier et Gilles...

Le regard de Villeneuve en disait long...

Le regard de Villeneuve en disait long...

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